VUB-Analyse des données de l’European Social Survey: en Belgique, 21% des travailleurs n'arrive pas à voir un médecin à cause de son travail

VUB-Analyse des données de l’European Social Survey: en Belgique, 21% des travailleurs n'arrive pas à voir un médecin à cause de son travail

Les données de l’European Social Survey (ESS) sur les inégalités en matière de santé en Europe, récemment publiées, nous donnent un aperçu des obstacles à l’obtention des soins médicaux nécessaires. Dans le présent document, nous nous concentrons sur les obstacles rencontrés par les travailleurs belges et sur la manière dont leur situation se compare à celle des travailleurs d’autres pays européens.

L’analyse de ces données ESS pour 2023-2024 montre que 21 % des travailleurs belges ne peuvent pas obtenir une consultation médicale ou un traitement nécessaire au moins une fois par an. Ce pourcentage est plus élevé dans le groupe des travailleurs que dans la population belge générale (16,6 %), car les travailleurs indiquent plus souvent que d’autres groupes de population que leur travail constitue un obstacle.

Parmi le groupe de travailleurs qui n’ont pas eu de consultation ou de traitement médical, 17 % indiquent que c’est parce qu’ils n’ont pas pu s’absenter du travail. Les autres raisons sont – comme pour la population générale – principalement liées à la pénurie de l’offre, comme des listes d’attente trop longues (35 %), l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous (29 %) ou ne pas pouvoir être traité à proximité du domicile (8 %). Les travailleurs citent également comme obstacles l’accessibilité financière (14 %) ou un confit avec d’autres obligations (5 %).

Nous observons que les travailleurs en position plus faible dans la société et sur leur lieu de travail sont plus susceptibles de ne pas accéder à des soins médicaux, notamment parce qu’ils ne peuvent pas s’absenter du travail.

Ainsi, les travailleurs sans diplôme d’enseignement tertiaire, sans revenu familial confortable ou avec un faible degré d’autonomie dans leur travail mentionnent environ deux fois plus souvent l’impossibilité de prendre congé comme raison. De plus, les ouvriers signalent cet obstacle plus fréquemment que les employés, tandis que les managers/professionnels rencontrent moins souvent ce problème que les deux autres groupes.

Enfin, nous constatons une différence marquée en fonction de l’affiliation syndicale : les non-syndiqués sont 2,6 fois plus susceptibles de déclarer qu’ils n’ont pas accédé à des soins médicaux parce qu’ils ne pouvaient pas s’absenter du travail. Ce phénomène pourrait indiquer que les travailleurs syndiqués sont mieux informés de leurs droits et possibilités, ou qu’ils sont individuellement plus enclins à les utiliser, ou, indirectement, que les contextes de travail fortement syndiqués offrent davantage d’accords de travail ou de CCT sur les absences pour raisons médicales.

Les postes où les travailleurs ont moins de flexibilité et moins de contrôle sur leur travail et leur temps de travail sont souvent aussi ceux avec une qualité de travail inférieure sur d’autres aspects, comme la rémunération et les conditions de travail malsaines. Cette situation crée une double inégalité en matière de santé : les travailleurs les plus exposés à des conditions de travail malsaines ont également plus de difficultés à avoir accès aux soins médicaux.

Parmi les travailleurs qui déclarent manquer des soins médicaux, la proportion de ceux qui invoquent l’impossibilité de s’absenter est généralement plus élevée chez ceux qui sont exposés à des risques spécifiques pour la santé.

Par exemple, les travailleurs exposés à des produits chimiques ou à des risques de troubles musculosquelettiques – levage de patients ou de charges lourdes, vibrations de machines, etc. – sont de un tiers à 2,6 fois plus susceptibles de passer à côté des soins médicaux nécessaires parce qu’ils ne peuvent pas s’absenter.

Cette double inégalité sape la politique de santé préventive et augmente le risque de problèmes de santé plus graves et d’absentéisme (à long terme). Par exemple, environ un tiers des travailleurs en arrêt maladie de longue durée sont absents en raison de troubles musculosquelettiques – le problème de santé lié au travail le plus courant, avec un coût budgétaire de 5 milliards d’euros. Le fait que les travailleurs les plus exposés à ces troubles aient davantage de difficultés à accéder aux soins médicaux nécessaires compromet les efforts visant à adopter une approche préventive et adéquate des maladies de longue durée.

Avec 21 % des travailleurs déclarant être passés à côté d’une consultation ou un rendez-vous médical, la Belgique se situe au-dessus de la moyenne européenne, mais reste comparable à des pays comme la France, l’Allemagne, la Norvège, etc.

Cependant, le fait que 17 % de ce groupe indiquent que c’est parce qu’ils ne peuvent pas s’absenter du travail fait de la Belgique l’un des pays européens où cet obstacle lié au travail est le plus prévalent.

Ces deux pourcentages combinés signifient que la Belgique est, à part l’Espagne, le pays avec le plus grand pourcentage de travailleurs qui n’accèdent pas à des soins médicaux parce qu’ils ne peuvent pas s’absenter du travail. Bien que les explications institutionnelles de ces différences internationales dépassent le cadre de cette note, l’observation d’un taux aussi élevé nécessite une réflexion critique sur les obstacles liés au travail en Belgique pour accéder aux soins médicaux.

CONCLUSIONS ET IMPLICATIONS POLITIQUES

Le principal obstacle pour les travailleurs belges à accéder à des consultations médicales et des traitements nécessaires est – comme pour la population générale – la pénurie de l’offre de soins de santé avec des longues listes d’attente, etc. Cependant, alors que ces problèmes de pénurie de soins de santé bénéficient d’une forte attention dans le débat public et politique, le deuxième obstacle le plus courant est souvent négligé : être obligé de se rendre au travail au lieu d’aller à une consultation médicale ou à un traitement.

Cet obstacle touche une proportion remarquablement importante de travailleurs belges, affectant de manière disproportionnée ceux en position de plus grande faiblesse dans la société et sur leur lieu de travail, ainsi que ceux exposés à des conditions de travail malsaines.

Cette situation accroît les inégalités sur le marché du travail et en matière de santé, sape les politiques de santé préventive et nuit à la gestion de l’absentéisme (de longue durée).

La législation belge actuelle oblige généralement les travailleurs à planifier leurs consultations médicales et traitements en dehors des heures de travail. Ce n’est que si cela n’est pas possible, moyennant l’accord de l’employeur et avec une perte de salaire si le travailleur ne peut pas prendre congé, que le travailleur peut se rendre à son rendez-vous médical pendant les heures de travail. Il existe des exceptions à cette règle – par exemple pour les femmes enceintes , les consultations chez le médecin du travail, etc. – mais l’ampleur du problème constaté indique que l’approche actuelle ne fonctionne pas bien.

Lors du renforcement des possibilités légales pour les travailleurs de bénéficier du suivi médical nécessaire pendant les heures de travail, il est crucial de s’assurer aussi que ces possibilités peuvent être utilisées efficacement. Ainsi, 14 % des travailleurs belges déclarent ne pas bénéficier d’un suivi médical en raison de leur situation financière, et l’impossibilité de prendre congé est un obstacle plus important pour les travailleurs dont le revenu familial est plus faible. La possibilité formelle de prendre un congé sans solde pour une consultation n’est pas une bonne solution en pratique car la perte de salaire est un obstacle.

La différence observée entre les personnes syndiquées et non syndiquées suggère qu’un renforcement de la participation des travailleurs et des réglementations plus contraignantes, comme les CCT, peuvent également contribuer à une utilisation effective des possibilités légales. Ces formes de participation sont particulièrement importantes pour les travailleurs dont la situation individuelle est plus faible et pour contrer les éventuelles inégalités croissantes. Par exemple, les inégalités socioéconomiques très marquées – et accrues après la période Covid – en matière de télétravail, en l’absence de règlements collectifs tels que les CCT, peuvent également se traduire par des inégalités croissantes dans la planification flexible du suivi médical nécessaire.

L’enquête ESS ne permet pas de distinguer le type de consultation ou de traitement auxquels les travailleurs ne peuvent pas accéder. Le recours à un suivi dans le cadre de la médecine du travail devrait être plus facile car cela se fait pendant les heures de travail. Cependant, le constat que les travailleurs les plus exposés aux risques pour la santé au travail sont en réalité ceux qui éprouvent le plus de difficultés à obtenir le suivi médical nécessaire indique des lacunes potentielles dans le suivi médical au travail.

En Belgique, les données adéquates sur la couverture et le suivi des travailleurs dans le cadre de la médecine du travail font défaut. Pour mieux comprendre et aborder de manière ciblée cet accès insuffisant des travailleurs aux services médicaux nécessaires, combler cette lacune est une première étape nécessaire, par exemple en soutenant et en renforçant les obligations relatives à la collecte et au rapportage de données standardisées par les services de prévention. Il peut également être utile de renforcer les sources de données existantes, comme l’Enquête nationale de santé, en y ajoutant des questions sur le contexte du travail.

Enfin, ces constatations apportent également une nuance supplémentaire au débat public et politique sur l’absentéisme et les effets (de la suppression) du certificat médical. L’accent mis sur l’absentéisme risque de faire oublier la problématique connexe du présentéisme. Il est crucial de prêter plus d’attention politique aux constats selon lesquels de nombreux travailleurs se rendent au travail alors qu’ils sont malades et sont contraints de travailler au lieu de consulter un médecin ou de suivre un traitement. Cela est nécessaire pour avoir une politique de santé préventive adéquate pour prévenir l’absentéisme pour maladie (de longue durée).

Plus d'info:

Contact Maarten Hermans: ​ maarten.hermans@vub.be.

Hermans M. (2025). Geen tijd voor de dokter: obstakels voor medische zorg bij Belgische werknemers. BRISPO Policy Brief N° 2025/01. Brussels Institute for Social and Population Studies. https://doi.org/10.5281/zenodo.14738044.

 

 


Frans Steenhoudt
Frans Steenhoudt Perscontact wetenschap en onderzoek

 

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