La géo-ingénierie n’est pas la solution pour sauver les régions polaires, avertissent les scientifiques
Les grandes interventions technologiques, connues sous le nom de géo-ingénierie, ne protégeront pas l’Arctique ni l’Antarctique contre le changement climatique – et pourraient même causer des dommages.
C’est la conclusion d’une nouvelle étude internationale, publiée dans Frontiers in Science, qui a évalué cinq concepts de géo-ingénierie parmi les plus discutés pour les régions polaires.
L’Arctique se réchauffe beaucoup plus rapidement que le reste de la planète et l’Antarctique connaît une perte de glace de plus en plus rapide. La fonte de la banquise, des glaciers et des plates-formes de glace perturbe des écosystèmes et des communautés fragiles, et contribue à l’élévation du niveau des mers. Les chercheurs soulignent que la meilleure façon d’éviter des dégâts supplémentaires reste la réduction des émissions de gaz à effet de serre, conformément à l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement en dessous de 1,5 °C et à l’ambition européenne d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
La géo-ingénierie est parfois proposée comme solution de temporisation, mais la nouvelle étude conclut qu’aucune des idées étudiées n’est réalisable. L’injection de particules dans l’atmosphère pour réfléchir la lumière du soleil pourrait endommager la couche d’ozone et perturber les régimes climatiques mondiaux. Des « rideaux marins » sous-marins pourraient bloquer les courants océaniques, mais aussi perturber les habitats et les routes migratoires des baleines, phoques et oiseaux marins. Les tentatives d’épaississement de la glace à l’aide de pompes à eau de mer ou de perles réfléchissantes sont non testées et risquées. Le pompage de l’eau de fonte sous les glaciers pourrait déstabiliser des écosystèmes cachés, tandis que la fertilisation des océans par le fer risquerait de bouleverser les chaînes alimentaires et les pêcheries.
Les auteurs avertissent également que ces projets coûteraient des dizaines de milliards de dollars, seraient extrêmement difficiles à mettre en œuvre dans l’environnement polaire hostile, et détourneraient l’attention des gouvernements de la réduction des émissions. Leur gouvernance serait par ailleurs très complexe dans un ordre mondial de plus en plus fragmenté. « Le milieu du siècle approche, mais notre temps, nos ressources et notre expertise sont partagés entre des efforts éprouvés pour atteindre le net zéro et des projets spéculatifs de géo-ingénierie », explique le professeur Martin Siegert (University of Exeter), auteur principal de l’étude. La Dre Heidi Sevestre (Arctic Monitoring and Assessment Programme Secretariat) ajoute que des expériences non éprouvées ne doivent en aucun cas remplacer une action climatique immédiate.
Marie Cavitte, climatologue à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) et co-autrice de l’étude, insiste sur les risques pour les écosystèmes polaires : « Travailler en Antarctique m’a appris à quel point ces systèmes sont délicats et interconnectés. Tout projet d’ingénierie à grande échelle dans un environnement aussi hostile comporte des risques de conséquences imprévues pour les écosystèmes, les communautés autochtones, et pourrait même échouer à préserver la glace elle-même. L’option la plus sûre et la plus efficace reste une décarbonisation rapide. Aucun des concepts de géo-ingénierie que nous avons étudiés ne réduit, par exemple, l’acidification des océans, qui continuera de s’aggraver avec l’augmentation des émissions de carbone, même si nous parvenons artificiellement à abaisser le ‘thermostat’ de la planète. Il est beaucoup plus efficace – économiquement aussi – d’adopter des politiques fortes de réduction des émissions que de spéculer sur des solutions technologiques miraculeuses. »
L’étude conclut que la géo-ingénierie nourrit de faux espoirs, tandis que la réduction des émissions offre des résultats prouvés. Si le monde atteint la neutralité carbone nette, les scientifiques estiment que le réchauffement global pourrait se stabiliser en une vingtaine d’années, donnant ainsi aux pôles – et à la planète entière – une véritable chance de rétablissement.
Référence
Siegert, M., Sevestre, H., Cavitte, M., et al. (2025). Safeguarding the polar regions from dangerous geoengineering: a critical assessment of proposed concepts and future prospects. Frontiers in Science. https://www.frontiersin.org/journals/science/articles/10.3389/fsci.2025.1527393/full
Contact
Dr Marie Cavitte
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